La recherche sur les substances psychédéliques a connu un essor considérable ces dernières années, suscitant l’enthousiasme des cliniciens, des investisseurs et du grand public. Les essais cliniques indiquent des résultats encourageants pour les personnes souffrant de troubles de santé mentale telles que la dépression, le syndrome de stress post-traumatique et l’anxiété de fin de vie.
Récemment, les troubles des conduites alimentaires (TCA), une catégorie de pathologies graves et difficiles à traiter, ont fait l’objet d’une attention particulière. Une enquête a révélé que 70 % des gens considèrent la médecine psychédélique comme une voie prometteuse pour les TCA, et de nombreux rapports font état de résultats positifs.
Les plates-formes de réseaux sociaux regorgent de témoignages fascinants, qu’il s’agisse d’articles en ligne, de documentaires Netflix, de fils de discussion Reddit, de vidéos TikTok ou YouTube. Mais la question cruciale demeure : les preuves scientifiques correspondent-elles à ce battage médiatique ?
En tant qu’étudiante en doctorat dans le domaine de la neuropsychiatrie, et ayant un intérêt personnel pour les TCA, je me suis plongée dans la littérature pour évaluer les preuves de la thérapie assistée par la psilocybine dans le traitement de ces troubles.
Gestion à long terme des TCA
Les TCA présentent le taux de mortalité le plus élevé parmi les troubles psychiatriques, et leur prévalence est en augmentation. Le traitement repose généralement sur une combinaison de médicaments et de thérapie, mais l’évitement, la défection et la résistance sont trop fréquents. De nombreux patients ne sont pas pris en charge ou supportent les symptômes toute leur vie. Dans l’ensemble, nous manquons d’options thérapeutiques susceptibles d’apporter des améliorations à long terme.
Bien que les causes des TCA soient diverses, les patients présentent souvent des altérations de la connectivité cérébrale et de la neurotransmission de la sérotonine. Ces changements affectent les régions intervenant dans l’image corporelle, l’humeur, l’appétit et la gratification, ce qui se traduit par une « inflexibilité cognitive ».
Celle-ci se manifeste par des schémas de pensée rigides, comme le comptage rigoureux des calories, des émotions retenues et des régimes d’exercice punitifs, entre autres comportements liés aux TCA. L’inflexibilité cognitive peut également être à l’origine de la résistance au traitement.

Mécanismes sous-jacents
Il semble que les traitements standard ne s’attaquent pas à l’ensemble des mécanismes qui sous-tendent les TCA. Contrairement aux traitements classiques menés par des thérapeutes, la thérapie par la psilocybine fait appel à l’expérience psychédélique pour modifier l’activité cérébrale et favoriser la flexibilité cognitive.
La psilocybine, alcaloïde végétal naturel présent dans les champignons du genre Psilocybe, a été introduite pour la première fois dans la médecine occidentale par les communautés autochtones dans les années 1950. Elle accroît la neurotransmission de la sérotonine tout en réduisant l’activité des réseaux cérébraux liés aux schémas de pensée rigides. On croit que ces transformations améliorent l’image corporelle, le processus de récompenses et le relâchement des croyances, catalysant ainsi le processus thérapeutique. Mais les données cliniques le confirment-elles ? Dans une certaine mesure.
Une étude de cas décrit une femme souffrant d’anorexie mentale résistante au traitement qui, après deux doses de psilocybine, a connu une amélioration immédiate de son humeur, une meilleure compréhension de l’origine de ses symptômes et une résolution à long terme de son problème de poids.
Une autre étude a montré qu’une seule dose de psilocybine était sûre et tolérable chez les femmes souffrant d’anorexie mentale, et qu’elle réduisait leurs préoccupations concernant leur image corporelle.
Dans un autre rapport, une personne souffrant de dysmorphophobie a bien réagi au traitement à la fluoxétine et à la psilocybine, alors qu’elle était résistante à d’autres médicaments.
Des données théoriques suggèrent que la psilocybine pourrait jouer un rôle dans le traitement de l’hyperphagie, de la suralimentation compulsive et de la dépendance alimentaire, tout en atténuant les symptômes dépressifs et traumatiques. Cependant, malgré ces perspectives intéressantes, de nombreuses limitations viennent nuancer les résultats.
Enjeux de la recherche
La référence standard pour toute démarche est l’essai contrôlé randomisé (ECR), où les participants sont assignés de manière aléatoire à une intervention ou à un groupe témoin, idéalement sans savoir lequel. L’idée est de réduire l’impact des différences individuelles et du biais d’attente pour vraiment voir si une intervention est efficace ou non.
Cependant, pour les ECR sur les substances psychédéliques, il peut être difficile de tenir les participants dans l’ignorance, les hallucinations étant en quelque sorte un indice révélateur.
De nombreuses études portent sur des tailles d’échantillons réduites et peu diversifiées, ce qui limite les possibilités d’application dans le monde réel. Bien que la psilocybine ait une bonne marge d’innocuité, les participants sont très vulnérables lors des expérimentations psychédéliques. L’expérience est souvent indescriptible et différente pour chacun, ce qui rend le processus de consentement éclairé difficile d’un point de vue éthique.

Il est également essentiel de reconnaître l’ « enthousiasme excessif » dans ce domaine, où l’utilisation personnelle de substances psychédéliques par les chercheurs et les participants peut introduire un biais. Entre autres limites, nous devons être conscients des conséquences de ce phénomène sur les résultats présentés dans les médias.
Sécurité des patients
Trop insister sur les actions thérapeutiques de la psilocybine ou présenter sélectivement des résultats positifs peut causer plus de mal que de bien. En raison de restrictions réglementaires, certains patients se procurent de la psilocybine illégalement, sans protocole de sécurité approprié ni supervision médicale. Bien que cela puisse refléter une défaillance du système de santé, un état d’esprit et un environnement adéquats sont essentiels pour une séance sûre et productive.
L’action thérapeutique de la psilocybine va au-delà de l’expérience psychédélique ; son intégration avec l’aide d’un thérapeute est essentielle pour en appliquer les bienfaits. Les récits suggérant qu’une seule exposition à la psilocybine suffit à la guérison sont dangereux.
Enfin, nous devons considérer comment l’engouement commercial autour de la psilocybine pourrait faire gonfler les coûts, limitant ainsi l’accès aux personnes qui en ont le plus besoin.
Si l’enthousiasme suscité par la thérapie assistée par la psilocybine est justifié, il est essentiel de faire preuve d’un optimisme prudent. Il nous reste à déterminer le cadre thérapeutique optimal pour les TCA, et comment il peut être offert de manière efficace et éthique à l’ensemble de la population.